L' Improvisation

A de rares exceptions près, tous les interprètes, oubliant d'être simplement musiciens, ont choisi de s'enfermer dans la respectueuse, la minutieuse,la méticuleuse, l'historique, la musicologique, la pétrifiante mais rassurante lecture d'autrui, occultant ainsi une partie de leur être. Ils optent pour le non-être, faisant fi des plaisirs innombrables et indicibles que distribue l'improvisation. Beaucoup regardent cette forme d'expression multi-séculaire avec une condescendance consternante. Serait-ce fausse modestie ou incompétence? Serait-ce vide intérieur ou peur de paraître? Ou tout à la fois? Mais qu'est donc l'improvisation?

Dans l'acceptation délibérée de ses richesses comme de ses faiblesses, elle est une communication immédiate de l'interprète avec lui-même, autant sinon plus, qu'avec un auditoire. C'est une forme d'expression par laquelle il capte ses inspirations à même le vécu, dans son immédiation, puis épanche, libère ses mouvements de l'âme pour faire vivre une aventure musicale toujours au présent, ignorante du futur, car s'ébauchant, se précisant au gré de flux émotionnel qui l'envahit pour atteindre bientôt ses auditeurs. C'est une manifestation de l'alter ego , dans le cadre d'une structure fascinante qui s'invente et se renouvelle en permanence et qui, par son évanouissement, autorise dans sa sincérité toute impudeur et tout interdit. Elle est cet exutoire qui, en tant que tel, et jusqu'à un passé récent, fut la genèse d'indénombrables partitions écrites et dès lors "révisées".

Par la somme de connaissances musicales et par la sincérité d'un language dont elle doit obligatoirement témoigner, mais encore par la prouesse cérébrale et la domination physique de soi-même qu'elle requiert, l'improvisation reste naturellement l'apanage d'une élite. Exigences qui expliquent partiellement la désaffection actuelle que nourrissent à son égard de nombreux interprètes. Sans doute par nécessité, plus peut-être que par besoin, l'improvisation est restée en pratique chez les organistes notemment. D'aucuns la reconsidèrent aujourd'hui, et à juste titre, comme une forme d'expression authentique et impérieuse, dans une volonté d'être soi-même.

L'un des nos plus grands "acteurs" dans ce domaine fut sans conteste Pierre Cochereau. Au cours de sa "carrière d'église", sa participation musicale a été intimement liée au déroulement de l'office (là se trouve également une des composantes de l'improvisateur). "Au service de Notre-Dame" comme il se plaisait à le dire, l'organiste liturgique possédait également un désir inné de faire partager sa passion, en rendant l'orgue accessible à tous.
Citons à nouveau Pierre Cochereau, qui un jour répondit à André Fleury, l'un de ses premiers maîtres, qui lui demandait s'il travaillait l'improvisation: "jamais .... Ce que je fais à Notre-Dame et au concert me sert d'entrainement".


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