La Voix humaine

L e jeu de la voix humaine dans l'orgue Les couleurs si différentes et les sonorités si disparates que l'on entend, proviennent de ceux que sélectionne l'organiste, grace à des registres. Ce sont souvent des boutons disposés de part et d'autres des claviers. Ce sont eux qui permettent d'ordonner les plans sonores, et de batir le colori d'une pièce.
Les noms de registres, souvent très bizarre, empruntent généralement leurs dénominations au monde de l'orchestre: flutes- trompette- clairon- clarinette... C'est pourquoi Berlioz, dans son traité d'instrumentation, parle de l'orgue comme étant un orchestre entier, aux possibilités infinies, à lui seul. Les jeux se regroupent en trois catégories: les fonds, les mutations et les anches.
Il existe un jeu d'anche qui s'appelle la "voix humaine", et qui se différencie complètement de son homologue italien "voce humana" qui est plutot un jeu gambé, plus proche de notre "voix celeste", autre jeu très français, qui ne parle souvent que sur le récit. Tient, encore le terme "voix" ! D'ou vient alors cette appelation?
Le premier traité d'orgue, celui de Presorius en parle déjà. Cependant, dans ses propos, il règne une certaine confusion entre cette voix humaine et la régale, autre type de jeu d'anche, et dont la sonorité est très proche de celui qui nous occupe. Déjà, au XVIe siècle, les devis pour la construction des orgues emploient les termes "chantres", "régale" ou "voix humaine" pour désigner une même réalité sonore. On peut lire souvent dans les déclarations de marchés de cette époque, entre les facteurs d'orgues et les ecclésiastiques: commande d'un jeu d'orgue de chantre répondant à la voix de l'homme.
Mais ce jeu a-t-il vraiment un rapport avec la voix humaine? On les a souvent comparés dans les traités de la facture d'orgue, d'autant plus que ce jeu est souvent employé, dans la littérature musicale du XVIIème et XVIIIème siècle comme soliste, fortement associé à un accessoire, le tremblant. Les pièces se dénomment alors "Dialogue". N'a-t-on pas ici la volonté d'imiter le vibrato du chant, comme nous le dit cet extrait du traité d'orgue de Marin Mersenne: "Mais l'anche des orgues n' expriment pas si bien les voix humaines, que les Perroquets qui rient et qui parlent si parfaitement qu'il n'y a nul moyen de la discerner d'avec la parole ou le rire des hommes”. Néanmoins, elles imitent de si près la voix que plusieurs s'y sont trompés. Ils surpassent tous les autres tuyaux. La renommée de ce jeu dépassa peu à peu nos frontières. Dès le XVIIIème siècle, on assista à un véritable engouement pour ces tuyaux, à tel point qu'on ne jugeait non plus une facture d'orgue par son esthétique, par ses sculptures, ou par son nombre de jeux, mais par l'existence ou non de la voix humaine à l'instrument. Dans une lettre, conservée à la bibliothèque municipale d' Angers, datée de 1626, et intitulée Philandinopolis, l'auteur, Bruneau de Tartifume, décrit l’orgue de la cathédrale de cette ville comme étant le plus célèbre de France, parce qu'il comportait le meilleur clavier d'orgues pour son jeu de voix humaine.
Au-delà d'une simple sensation subjective, une comparaison plus appronfondie scientifiquement, entre un tuyau d'orgue de voix humaine et la voix chantée, est aujourd'hui étudiée par une équipe de chercheurs. Ils travaillent actuellement, au Laboratoire d'Acoustique Musicale, sur une théorie, prenant en compte le développement des formants. Sont-ils les mêmes entre la voix et le jeu d'orgue? Quel type de formant est-il mis en valeur à l'instrument? Le spectre est-il identique? Est-ce valable à toutes les époques de la facture d'orgue? Peut-on alors risquer une analogie qui ne serait pas seulement esthétique, et qui prendrait en compte le développement d'un message? Les résultats ne sont pas encore connus, mais risquent de nous surprendre....

Laurent Rozon (Article paru dans Musiqinfo, nov.97)



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